Beaux-Arts Magazine; Février 2014

"A l’opposé de la démesure, l’agence nantaise d’Anne-Flore Guinée & Hervé Potin explore une architecture tout en subtilité végétale et formelle. Ils ont livré en 2013 un Centre de découverte scientifique à La Roche-sur-Yon : un bâtiment en chaume ! Futur antérieur ?

Quel est votre rapport à l’écologie ?

Nous ne nous définissons pas comme des architectes écolos mais plutôt comme des stylistes, attirés par l’esthétique, la mode, le chic. Nous pensons que le mouvement moderne, le corbusianisme, nous ont fait oublier une élégance d’avantguerre ainsi que des méthodes traditionnelles de construction que nous aimons retrouver. Sans être post-modernes, nous les actualisons. Le bois, le chaume, les troncs d’arbres, les toitures végétalisées sont nos outils. Nous aimons parler de manteau à propos de nos façades ou toitures. Nous les aimons rugueuses, aptes à capturer les couleurs, les reflets. Qu’ensuite, il s’avère que ces édifices offrent d’excellentes performances énergétiques, c’est un plus.
La nature est bien faite."

Philippe Trétiack



Parpaings #5; Septembre 1999

" L’architecture reconquiert sa pleine valeur plastique et sa pleine expressivité, dans la lignée de certains courants des années soixante (Team X, Archizoom, Superstudio, les Métabolistes...) fondés sur l’expérimentation et la réflexion sur les matières, les textures, les épidermes. L’élaboration d’une ‘architecture de la matière’ consiste alors à dépasser le stade de la recherche esthétique au profit d’un véritable développement conceptuel, dont les pères spirituels seraient Dali et ses structures molles, Gaetano Pesce et ses prototypes. (...) En s’éloignant de la sécheresse imaginative et plastique qui frappe parfois l’architecture, Hervé Potin et Anne-Flore Guinée font le pari d’un monde sensible, coloré, générant des structures originales. (...) C’est la naissance d’une architecture simple, ultra-expressive, et, surtout, non dénuée d’ironie."

Alice Laguarda



In Extra-Muros, Architectures de l’Enchantement; 2006

"Ils sont tous deux diplômés de l’école d’architecture de Rennes, respectivement en 1997 et 1996. Lui a été pensionnaire de la villa Médicis, à Rome, en 1998/99, elle lauréate de la bourse EDF-Electra en 2000. En 2002, ensemble, ils ont été en Éthiopie, grâce à la bourse "L’envers des villes". Puis, ils fondent l’agence Guinée*Potin en 2002 à Nantes. Les projets présentés ici sont pour la plupart issus des recherches entreprises durant leur séjour à Rome. Ces recherches, très "influencées par les utopies radicales des années 60 et une certaine architecture contextuelle des années 90", se caractérisent par une nouvelle approche des épidermes. Mais le charme de ces projets vient surtout de la liberté qu’ils expriment. Ce n’est pas qu’ils ont oublié l’histoire, bien au contraire car ils ont beaucoup admiré «autant les mosaïques antiques et les parements baroques que le travail de Gaudi ou d’Horta» mais plutôt parce qu’ils osent mélanger le naturel et l’artificiel, le brut et le sophistiqué, le dur et le mou… et que rien ne semble capable les arrêter. Ils sont finalement autant artistes et paysagistes qu’architectes. Collage, coloriage, détournement, interférence, croisement, pliage, enchâssement, effeuillage, incrustation, placage, contamination, etc. sont au service d’une architecture «sensuelle, expressive et magique"

Patrice Goulet; éditions Archibooks; Cité de l’architecture



Matiere(s) d'Architecture; 1999


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L'Architecture manifeste : Rétrospective de la Plateforme ; 2012



"Voici une maquette, ou une sculpture, ou des souvenirs, ou une compilation, ou un projet à venir, ou tout cela à la fois. Elle évoque des images de projets construits au sein de l'agence. Julie dessine, elle est très concentrée, mais n'arrive pas à trouver un sosie "convenable" à Hervé, soit dit en passant la compet' des sosies fait rage au bureau. Hervé téléphone, il arpente l'agence à grands pas nerveux, attrape un stylo feutre au vol et griffonne des notes hâtives sur un cahier. La musique à fond, un vieil air indies des années 90.Il a du mal à se faire entendre, la musique est vraiment trop forte, mais il adore ce tube. La conversation semble longue et houleuse, quelques mots d'excuses, des explications en français, des terminologies de droit. Lia avance précautionneusement sur ces études de logements et doit gérer calmement les facéties d'un nouvel interlocuteur nommé à la sauvette. Elle adore la cannelle. Jean mesure des surfaces de matériaux afin de gérer au mieux un chantier où les entreprises sont prêtes à faire payer fort le moindres écarts de surfaces entre les phases études et le chantier. Il note des scores de rugby. Camille vient d'envoyer un mail, il réside désormais à Rome pour une année délicieuse. Les femmes portent des lunettes de soleil à tout bout de champs et les cafés sont "ottimale"¹. Solen noue son écharpe autour d'elle et pose son petit garçon Lucien contre son coeur, elle part boire un café avec ses amies et passera saluer l'agence en fin de journée. Pierre et Martin découpent habilement des lés de carton et parlent de leur école d'archi respective. Clément arrive, il dépose son casque de scooter sur l'étagère, et met au courrier une pile de plis urgent. Anne-Flore peste sur les aléas et délais d'instructions des déclarations de travaux. Elle a trouvé sur son chemin des camélias rouge écarlate, abandonnés, qu'elle a déposés dans un verre d'eau sur son bureau."
¹ : mot italien signifiant "excellent" dans une dimension gustative.


Catalogue d'exposition : L'architecture Manifeste; Commissaire d'exposition : Hervé Perrin; ENSAB; 2012



L'ornementation n'est plus un crime; Exercice(s) d'Architecture; 2010



Questionner, voire justifier l’ornementation en architecture, est à vrai dire complètement déplacé et d’ailleurs, où serait le fondement d’une telle question ? On va questionner à un moment donné une liberté possible et l’on va se poser de fait des questions de forme, et alors ? L’ornementation fait partie de l’architecture depuis que l’homme existe, en passant par Lascaux, avec par exemple les écrits de Georges Didi-Huberman au sujet des empreintes « graphiques » de l’homme
préhistorique¹.

Resituons les faits et expliquons ce qui a pu déclencher un tel questionnement de nos jours.
À l’exposition parisienne de 1925, âge d’or de l’Art déco, on a présenté à la marge deux grands projets modernistes : le pavillon de l’Esprit nouveau de Le Corbusier et le pavillon de l’URSS de Melnikov. Sous-représentés, les modernistes ont nourri une haine viscérale des « décorateurs » et ont hourdi une revanche de « communi- cation » afin d’être véritablement représentés et ce, pour la prochaine Exposition universelle de 1930. Ce qu’ils ont fait trois ans plus tard, en créant les Ciam (Congrès internationaux d’architecture moderne), au château de la Sarraz par un groupe de vingt-huit architectes européens organisé par Le Corbusier et la vicomtesse Hélène de Mandrot. Désormais, l’architecture moderniste va se pro- clamer en héraut de l’ordre, du vide, de la table rase, de la fonctionnalité, en s’engouffrant dans cette idée de «coupure», réinterprétant dans son sens des écrits volontairement tronqués de Loos à savoir, le fameux « l’ornementation est un crime». En tout cas, cela va arranger tout le monde et, en particulier, cela légitimera l’aspect désormais « économique et rentable » des projets. En France, on a ainsi ostracisé les Arts déco. Les Ruhlmann, Eileen Gray et Jean Badovici, Eugène Süe ont été jugés trop maniérés et bourgeois, au profit de créateurs plus « socialo ».
Auguste Perret : « L’art décoratif est à supprimer. Je voudrais d’abord savoir qui a accolé ces deux mots : art et décoratif. C’est une monstruosité : là où il y a de l’art véritable, il n’est pas besoin de décoration2. »
Les États-Unis quant à eux, plus prospères, accueilleront les arts décoratifs en tant que tels et en feront une architecture très représentée et toujours visible, notamment dans les grands halls de buildings à New York.
On en revient toujours à cela, quasiment un siècle plus tard !
Le fait est que l’on a altéré le sens du mot « ornementation » pour satisfaire un dogme moderniste.
Les De Stijl, Vhutemas, Puristes, toutes les avant-gardes des années 1920 ont voulu faire table rase du passé, en dissociant arts et décoration. On ne sort plus de cette dialectique qui dure depuis environ un siècle, et ce, malgré les critiques virulentes du Team X, puis des radicaux (italiens, britanniques et autrichiens), et, à partir des années 1970, du postmodernisme. Cependant, autant souligner que ce phénomène est assez franco-français et que les critiques des Ciam et de Le Corbusier se trouvent plus souvent à l’étranger qu’en France.

Les pédagogies dans les écoles d’architecture françaises restent en effet assez fidèles à la nostal- gie du « volume blanc sous la lumière », incompatible avec l’idée de « déco » ou de « motifs », tandis que la pédagogie critique de l’Architectural Association School londonienne des années 1960, a fondé une pensée créative européenne, de Koolhaas à BIG en passant par MVRDV dont la matrice est l’architecture radicale des années 1960.
Les écoles d’architecture américaines, Columbia, SCI-Arc, se nourrissent également de philoso- phie française contemporaine et démontent, déconstruisent les projets sans états d’âme. En France, le cloisonnement est vraisemblablement très rigide entre les tenants et profession- nels de l’histoire, du patrimoine, (formés par les écoles françaises du Louvre, l’école de Chaillot, les facultés d’histoire) et ceux qui se considèrent de l’avant-garde, architectes contemporains, artistes formés en école d’architecture et école des beaux-arts. Heureusement, les temps et les mentalités changent et les exemples, sans vouloir faire de déclinisme franco-français, viennent d’ailleurs. Ils viennent en effet des Pays-Bas, de Scandinavie ou du Japon dont l’avant-garde finit par devenir une tradition. Comme si l’hypothèse d’une crise, qu’elle soit démographique, écolo- gique, climatique, anéantissant le pays dans sa totalité, ou le traumatisme de tragédies nucléaires, rendait l’architecte néerlandais, scandinave ou japonais, plus attentif et plus humble par rapport à l’histoire en considérant qu’il n’y a pas d’ancienne ou de nouvelle architecture, mais de la bonne et de la mauvaise. L’approche du contexte dans les pays nordiques est toujours très prégnante. La vision d’une architecture progressiste ne se coupe pas du passé : Aalto en Finlande, Utzon, et aujourd’hui BIG au Danemark font place à l’ornementation « sans complexe » dans leur projet.
C’est en modifiant notre rapport à l’histoire que l’architecte pourra modifier son rapport à l’ornementation.
A contrario, il suffit de voir comment la société française a traité l’histoire par pure idéologie du progrès et arrogance pour se rendre compte que tout ce qui a trait à l’ornementation, à la décora- tion, à l’Histoire, est confié aux mains plus ou moins expertes des conservateurs, des architectes des bâtiments de France et que les desseins économiques et hygiénistes de la ville sont confiés aux hommes politiques et aux hommes dits de « science » : économiste, urbaniste, sans formation liée à une pensée de l’espace architectural.

D’un point de vue strictement économique, nous avons été « trop » riches ! Cela a suffi, par exemple, dans les années 1950 à anéantir les infrastructures portuaires urbaines et la présence des fleuves dans les centres-ville (nantais et rennais), ainsi qu’à démolir les architectures à pans de bois, les édifices industriels en ossature métallique (en particulier à Nantes).
Cette vision des choses, centrée sur l’idéologie du progrès, de l’hygiénisme a détruit en son temps des centres-ville historiques français, a contrario des Pays-Bas ou de la Scandinavie, où ont été préservés des centres-ville historiques entiers : Utrecht, Amsterdam, Bergen, etc.
J’oserais dire que la différence entre la Villa Savoye de Le Corbusier et la Villa Schröder de Ritveld à Utrecht, deux icônes de l’architecture moderne, est dans leur rapport au contexte et à l’ornementation : la première est posée dans un carré d’herbe, vaisseau spatial tombé d’un tableau puriste ; la seconde est mitoyenne d’un îlot résidentiel « en bande» néerlandais. Cette contextualité engendre tout un rapport à l’histoire, à la géographie et au site complètement différent. D’un côté, on a fait table rase, de l’autre, on occupe le site, on le modifie avec un brin d’ironie parfois, mais l’ironie est créatrice. Le « Fuck the context » de Koolhaas3, soixante-dix ans après la Villa Schröder, a été aussi mal compris que Ornement et crime de Loos. Il s’agit plus d’une critique du conservatisme patrimonial de certains architectes des bâtiments de France que la volonté de faire table rase du passé. C’est la critique de la dichotomie entre architecture contemporaine et architecture du passé, d’un patrimoine que l’on ne pourrait plus modifier, alors qu’il est vivant !
La modernité en France s’est traduite par le refus du rapport de l’architecture à l’Histoire, c’est faire table rase du passé. C’est le progrès comme l’aliénation du passé, ce qui a donné le « hard French » des grands ensembles, pour le meilleur (Zehrfuss, Albert, etc.) et pour le pire. Dans les années 1920, les Pays-Bas ont fait cohabiter deux mouvements architecturaux : De Stijl et, dans le même temps, l’École d’Amsterdam menée par Willem Dudok. Les expérimentations plastiques et formelles de l’École d’Amsterdam sont encore bien visibles à Hilversum et dans le quartier Zuid d’Amsterdam, qui s’inspire de l’histoire et de motifs traditionnels pour fabriquer une architecture alors contemporaine. Cette dualité de l’architecture néerlandaise, présente dans ces deux mouve- ments, n’existe alors plus en France. Les « modernes » ont balayé les « décorateurs » et l’on sort difficilement de ces dialectiques quatre-vingt ans après.
La visite de la Casa da Musica de Koolhaas à Porto nous montre un rapport complètement décom- plexé à l’histoire tant les motifs décoratifs y sont multiples et chatoyants. Ils coexistent naturel- lement avec la modernité. Cette redécouverte des éléments décoratifs traditionnels utilisés sans complexes dans une architecture contemporaine conforte la possibilité de l’ornementation dans l’architecture contemporaine.


Hervé Potin et Anne-Flore Guinée; édition Bookstorming; Directeur de publication : Marie Minier; 2010

1. Georges Didi Huberman, Empreinte, éditions Georges Pompidou, Paris, 1998.
2. Design d’en France, catalogue d’exposition, 2004, citation d’Auguste Perret.
3. À relire absolument : New York délire, Rem Koolhaas, éditions Parenthèse, 1978.